Flâneries


J'aime flâner le soir le long des quais, quand une brume verdâtre, chargée de relents nauséabonds, s'élève paresseusement de la Seine, comme indifférente et, qui sait ? peut-être malicieusement réjouie par l'éclat d'inquiétude qu'elle reflète dans les yeux des amants attardés, tout à coup silencieux, créant comme une poche palpable de malaise là où il y a quelques instants encore la chaleur de leurs poitrines, conscientes, elles, de l'éphémère tension de l'instant, réchauffait la platitude de leurs existences, quand tout à leur naïveté ils croyaient atteindre là l'éternité alors qu'il ne s'agissait déjà plus que de l'ultime soubresaut avant une fin inéluctable. . .

J'aime flâner la nuit sur les boulevards, à ce moment qui laisse entrevoir l'espoir du matin dans les bruits de quelque maison, où une machine bien huilée émerge doucement du sommeil, prête à subir un nouveau jour d'abrutissement pour une hypothétique retraite en HLM, lendemains qui ne chanteront jamais, mais à ce moment qui retient encore des bribes de l'angoisse des insomniaques dans le malsain de la pauvre lumière que jette un lampadaire péniblement soutenu par une prostituée hagarde la face blafarde défigurée par le demi-sourire de celle, satisfaite, qui sait son devoir accompli.

J'aime flâner à Saint Germain des Prés, à l'heure où meurent les vieux riches, quand le matin chasse enfin les dernières angoisses de la nuit, les remplaçant par celles du jour, qui ne sont pas moins douloureuses, les angoisses de celui qui, malgré la souffrance, a fini par s'endormir entre deux pleurs, épuisé, une fois de plus vaincu et qui ouvre brutalement les yeux, avec l'impression qu'une seconde seulement s'était écoulée, ne pouvant même pas profiter du maigre répit de ces quelques heures, celui-là porte un regard déjà las, le croiser dans les rues froides, est comme regarder votre double, celui qui connaît son destin.

J'aime toujours autant observer les souffrances et les tristes certitudes de mes semblables car leur futilité est le seul spectacle qui rend la vie agréable. . .

Mise à jour de 01/2002

© Mathieu Marmouget 2007
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