Der nimportekyster, Der Übermensch


"Quidiquid praecipies, esto brevis"
HORACE

Vous avez pu constater dans cette revue à la périodicité incertaine la fabuleuse ébullition du mouvement N'importequiste. Je suis sûr que certains d'entre vous se sont passionnés pour les querelles doctrinales (byzantines ?) qui agitent les principaux hérauts du N'importequisme. Si grâce à ces "disputes", vous avez pu croire "voir la Lumière", il faut tout de même avouer qu'une certaine opacité règne parfois dans les débats, décourageant sans doute d'éventuelles recrues. Cette opacité prend certainement racine dans ce que l'on pourrait qualifier de "péché originel" des "éléphants" du N'importequisme (Onc'Bara et Marlou notamment).S'ils ont le mérite d'avoir ouvert la voie à un débat public, ils ont fait l'économie d'une définition qui aurait eu l'avantage de permettre à des "hommes nouveaux", non issus des grandes institutions (ENN, EHEN, SON -1-), de contribuer de façon bénéfique au débat. Au lieu de cela, ces pharisiens du N'importequisme ont préféré s'enliser dans des luttes intestines, qui, si elles recoupent une véritable césure idéologique - nous y reviendront - , peuvent rebuter les non-initiés.

Bref, la question reste posée : qu'est-ce que le N'importequisme ?

Nous pouvons esquisser une réponse en affirmant résolument ce que, tout au moins, nous ne voulons pas en faire. Certains (sans doute des "trotskistes manipulés par des puissances étrangères" comme l'affirmait récemment notre ministre de l'Intérieur), certains, disais-je, ont cru y voir une attaque anti-intellectuelle d'obédience poujadiste dans la lignée des Impostures intellectuelles récemment parues (se reporter par exemple à l'article de Marlou sur J. J. Rousseau). Il n'en est rien : le N'importequisme ne recommande ni les autodafés ni même le pal pour Barthes (quoiqu'en ce qui me concerne…).

Au contraire, le N'importequisme, et cela n'engage que moi, est le fait d'une élite cultivée, lucide (cynique ?) et douée de sens de l'humour et de préférence, de gauche (?). Elle peut même sembler parfois quelque peu détachée des réalités (sociales, économiques et que sais-je encore). D'ailleurs un fait intéressant est à noter : près de 99% des effectifs du N'importequisme sont universitaires (en Lettres de plus, discipline qui, plus de 15% des français vous le diront, est totalement inutile). L'on peut ainsi se demander ce que peut apporter le N'importequisme à l'homme de la rue. C'est simple : rien.

Et voici pourquoi. Le N'importequisme, c'est le "décalage volontaire" écrit Tringlus du Bleuet dans un article resté célèbre. Soit. Pourtant, j'y ajouterais le détournement. Si le décalage volontaire est "un procédé humoristique", qui vise à surprendre et à faire sourire, c'est dans le détournement (des buts de l'auteur, du texte) que se situe le plaisir intellectuel et blasphématoire à la fois qui fait l'originalité de ce courant. Sa pratique suppose donc une bonne connaissance des "Textes et Documents", pour mieux les pervertir, les dévier de leurs finalités originelles dans un but de pur plaisir du N'importequiste pratiquant et de son auditoire (s'il le comprend : autrement dit, s'il possède les mêmes références culturelles). Ainsi, comme l'Art, le N'importequisme est profondément inutile (dans le sens d'utilitaire) et donc profondément humain. C'est le N'importequisme qui sépare définitivement l'Homme de l'Animal. Avec Tringlus, je pense que le N'importequisme n'est pas le contresens. En effet, faire un contresens serait encore faire trop de cas de l'œuvre (ou de la situation) détournée. Au contraire, le N'importequisme annihile son point de départ, il écrase l'œuvre en la détournant, la vide de sa substance en en faisant éclore un sens perverti ou mieux encore exalte la vacuité même de sa démarche, bref, il détruit le consensus. Mais, au contraire d'un acte de destruction, le N'importequisme est acte de création, selon le principe que du chaos naît l'idée nouvelle.

Arrivé à ce point de mon exposé, vous vous attendez à ce que je vous présente des exemples. Je n'en ferai rien. D'une part parce que, c'est effectivement ce que je devrais faire dans un exposé bien équilibré, or, il n'y aurait là nulle surprise. D'autre part, un exemple N'importequiste bien choisi vous ferait rire, ce qui réduirait à néant le caractère pédagogique de ma démarche.

De tout ceci émerge au moins une chose : c'est la vanité du N'importequisme populaire et tout autant l'échec programmé de sa démarche. Comment peut-on croire "qu'écrire N'importequiste c'est servir le Peuple" ? Il faut absolument admettre que, non, une œuvre littéraire n'est pas instructive. Car il faudrait pour cela qu'au minimum elle soit connue. Vous admettrez avec moi que pour beaucoup, c'est loin d'être le cas. Et comment saisir le détournement d'une œuvre inconnue ? Le N'importequisme est au bout du compte un courant de pensée salutaire qui vise à briser les carcans culturels et institutionnels à qui le respect devrait être dû sans qu'en soient justifiées les raisons. Et la seule manière de briser ces carcans, c'est de les pervertir de l'intérieur en faisant émerger le Non-Sens.

A ceux qui serait choqués de ce manque de respect envers les auteurs notamment, rappelez-leur ce que Zarathoustra s'écria au soleil : "O Grand Astre ! Quel serait ton bonheur si tu n'avais ceux que tu éclaires ?".

1) Ecole Nationale N'importequiste, Ecole des Hautes Etudes N'importequistes, Saint Office N'Importequiste…

Mise à jour de 01/2002

© Mathieu Marmouget 2007
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